Jean-Louis Morel
Jean-Louis Morel, né en 1958
300 ans ! pour les généalogistes que nous sommes, 300 ans, c'est à peu près 10 générations.
10 générations pour lesquelles nous avons dépensé du temps, de l'énergie, de la patience. Pourquoi ? pour une généalogie maigrelette, une liste de noms et de dates, agrémentée dans le meilleur des cas de quelques documents, de photographies tout au plus centenaires, auxquels viennent s'ajouter quelques objets plus récents précieusement conservés dans la malle aux souvenirs.
Il y a 300 ans, nos ancêtres - en tous cas, les miens - côtoyaient rarement le papier. Leur contact avec cet élément essentiel de la transmission de la mémoire se limitait souvent à quelques signatures malhabiles - quand ils savaient signer ! -, et cela suffisait pour toute une vie ; une poignée de baptêmes, un mariage, quelques décès, une vente ou un achat épisodiques, pas de quoi entretenir une relation privilégiée avec le papier. Pas de quoi nous laisser des traces de leur passage sur terre.
Leur papier à eux, c'était la terre, leur plume, c'était leurs outils ; ils ont écrit notre histoire avec leur sueur en guise d'encre, puis ils sont partis rejoindre leurs ancêtres dans cette terre qu'ils nous ont légué pour tout héritage. Maintenant il ne nous reste que leur signature au bas d'un parchemin.
Ne nous laissons pas entraîner dans le tourbillon du progrès. N'oublions pas de nous arrêter de temps en temps. Prenons le temps de fabriquer les "morceaux de nous" qui traverseront les années que vous, nos descendants, remonterez.
Vous qui me lisez, en 2010, en 2100 ou en 2300, continuez à enrichir cet inventaire à la Prévert qui constitue notre mémoire familiale. Ne jetez pas mon plumier en bois, ni le chapelet de mon père, ni le buffet de mon arrière-grand-père. Nous les avons conservés pour vous. Pour que ces objets vous rappellent que nous ne sommes pas seulement un nom, deux dates et une signature.
Même si le support de conservation de ce texte est numérique, sans aucune garantie de pérennité, moi j'ai d'abord pris mon stylo plume et j'ai écrit sur ce cahier. Mon seul voeu est que mes descendants héritent de mon gène "conservateur". Quand ce cahier sera rempli, il ira rejoindre les objets de mes ancêtres dans la malle aux souvenirs.
Ce texte n'est là que pour vous rappeler l'existence de cette malle.
Ouvrez-la ! Alors, avec émotion, vous prendrez les objets qui s'y trouvent un par un, vous les toucherez, vous feuilletterez ces pages et vous aurez alors l'impression d'être avec moi... 300 ans plus tôt.
Fait à Wasquehal, le 26 d'octobre en l'an de grâce 2001.
Jean-Louis MOREL